Autoroutes, aéroports... Des collectifs écolos font plier les projets climaticides

Des milliers de personnes ont manifesté contre les mégabassines à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres, en mars 2022. - © Quentin Vernault / Reporterre
Des milliers de personnes ont manifesté contre les mégabassines à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres, en mars 2022. - © Quentin Vernault / Reporterre
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Luttes Carte des luttesDepuis plusieurs années, les collectifs en lutte contre les projets polluants et imposés se rassemblent en coalition. Objectifs : muscler les forces et remporter des victoires.
C’est une toile qui s’étend depuis plusieurs années. Ses fils sont tissés par des collectifs et des associations qui s’opposent à l’extension des aéroports, aux fermes-usines, aux nouvelles autoroutes, aux zones commerciales. Depuis 2019, Reporterre s’efforce de tenir le compte de ces combats dans sa carte des luttes. C’est ainsi que nous avons vu éclore une dizaine de coalitions thématiques regroupant ces collectifs autrefois disparates.
La plus ancienne, contre les méthaniseurs, date de 2018. La plus récente, contre les fermes-usines, s’est structurée mi-avril pour devenir le réseau Résistance aux fermes-usines (Rafu). On pense également aux Soulèvements de la Terre, qui depuis 2021, ont rassemblé une large diversité d’associations et de collectifs en lutte contre des projets polluants, jusqu’à leur dissolution le 21 juin dernier. Toutes ces coalitions sont le symbole d’un phénomène : celui de la montée en puissance des luttes locales face au rouleau compresseur capitaliste, qui impose ses instruments de domination sur tout le territoire.
Ces coalitions permettent de s’entraider et de partager les expériences. Comment lancer une pétition ? Comment mener des recours juridiques efficaces ? Comment organiser une manifestation ? Comment interpeller les élus ?

Elles ne travaillent pas seules et s’allient souvent avec des associations écologiques plus expérimentées. Le Rafu collabore avec Eaux et rivières de Bretagne, L214, la Confédération paysanne ainsi que Greenpeace, qui a publié une carte des fermes-usines en France.
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La coalition des luttes contre l’extension des aéroports a noué une alliance originale baptisée Aviaction, réunissant des associations environnementales avec des collectifs de riverains qui veulent réduire les nuisances liées au trafic. Aviaction travaille également avec le Réseau Action Climat pour le plaidoyer ainsi qu’avec Alternatiba pour l’organisation de mobilisations.
Les luttes pour la préservation des forêts rassemblent à la fois des syndicats (Snupfen Solidaires), des professionnels du bois (Réseau pour les alternatives forestières) et des associations environnementales (GNSA ou Canopée). Toutes ces alliances permettent de pousser ces luttes sur la scène nationale, avec parfois de beaux succès médiatiques.

Le plaidoyer politique
Autre axe de travail : le plaidoyer politique envers les élus. La coalition contre les entrepôts Amazon a été particulièrement active à ce sujet, avec une proposition de moratoire sur les entrepôts d’e-commerce, qui était même portée par certains députés de La République en marche (LREM). Hélas, cela n’a pas été suffisant pour inscrire cette interdiction dans la loi Climat.
La Déroute des routes, coalition qui lutte contre les projets routiers, a également travaillé sur des amendements avec les députés Alma Dufour et Sébastien Rome en vue d’un moratoire sur les nouveaux projets, dans le dernier projet de loi de finances. Ils ont été retoqués, car considérés comme des cavaliers législatifs. Lors du dernier projet de loi de finances, la coalition des forêts avait réussi à rassembler une majorité de députés à l’Assemblée nationale pour lutter contre la privatisation de l’Office national des forêts (ONF). Sans succès. La députée insoumise Mathilde Panot a aussi lancé une commission d’enquête citoyenne pour une gestion alternative des forêts.
Aéroports, Amazon... Des victoires nombreuses
Organiser des manifestations, des week-ends de travail ou tout simplement des apéros permet aussi de lutter contre la fatigue guettant chaque militante et militant. Car il faut tenir face aux coups durs et surtout aux très longues procédures judiciaires. « Lors de nos dernières rencontres, nous avons débattu sur les façons de se mobiliser sans s’essouffler et nous avons mis en place un plan d’action », raconte Fanche Rubion, du réseau Résistance aux fermes-usines.

Le meilleur antidote face au découragement reste la victoire. Parmi les plus éclatantes, on peut citer l’abandon de l’aéroport d’Andorre ou encore du terminal 4 à Roissy-Charles de Gaulle. Autre succès, la lutte contre les entrepôts Amazon. En 2019, Reporterre avait publié une carte des sites ciblés par la multinationale pour s’implanter dans l’Hexagone. À l’époque, une douzaine de collectifs s’opposait à l’ogre étasunien.
Certains combats ont été perdus contre Amazon [1], mais plus de la moitié ont été victorieux : à Fournès (Gard), Loroux-Bottereau (Loire-Atlantique), Dambach-la-Ville (Bas-Rhin), Montbert (Loire-Atlantique), Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), Calais (Pas-de-Calais), Petit-Couronne (Seine-Maritime) et à Belfort (Territoire de Belfort). Seuls deux projets restent en suspens : dans la périphérie de Lyon ainsi qu’à Ensisheim (Haut-Rhin).
« On lutte contre un système. C’est pour cela qu’il faut entrelacer nos luttes »
« Les oppositions ont été efficaces et ont fait perdre du temps avec de multiples recours juridiques », explique Étienne Coubard, ancien coordinateur de la lutte contre les entrepôts Amazon au sein des Amis de la Terre. Mais la patience et la pugnacité des opposants ne sont pas les seules raisons de ce retrait. La crise économique et l’apparition de nouveaux concurrents, notamment les sites de vêtements de fast fashion, lui ont fait perdre des plumes. Malgré tout, Frédéric Duval, le directeur général d’Amazon France, essaie toujours de défendre son modèle dans certains médias, laissant entendre que toute velléité de développement en France n’était pas abandonnée. Son entreprise avancerait plus discrètement.
La coalition contre les entrepôts Amazon va ainsi muter pour s’élargir aux entrepôts logistiques. Un sujet qui intéresse également Enora Chopard, membre de la Déroute des routes. « La construction de nouvelles routes ouvre la voie à l’artificialisation de nouveaux espaces, notamment pour les nouveaux entrepôts de logistique. »

En effet, les coalitions arrivent à bâtir des ponts entre elles, comme l’ont réaffirmé les acteurs qui se battent contre le nucléaire. Le 3 juin dernier, près de quarante-six groupes se sont retrouvés pour lancer une contre-attaque face à la relance du nucléaire en France. « Il y a aujourd’hui une volonté de convergence face à la transversalité des luttes écologiques et le nucléaire rejoint cela », assure Angélique Huguin, résistante à Bure (Meuse). « On lutte contre un système. C’est pour cela qu’il faut entrelacer nos luttes, les mettre en réseau pour faire en sorte que cette croissance ne soit plus possible », confirme Charlène Fleury, de la coordination contre les aéroports.
Tous ces collectifs et coalitions vont se retrouver aux rencontres des Résistantes, qui auront lieu sur le plateau du Larzac du 3 au 6 août, à La Salvetat (commune de La Couvertoirade). Un évènement durant lequel les militantes et militants de toute la France pourront se réunir pour échanger les bonnes pratiques et préparer les futures mobilisations. « Notre objectif est d’inviter d’autres collectifs locaux à nous rejoindre. On a l’intention de mener de manière tonitruante nos futures actions. Il faut que tout cela soit joyeux », conclut Fanche Rubion, du Rafu.