Que ce soit Macron ou Le Pen, les luttes écologistes continueront

Manifestation contre les travaux de la gare de la ligne 17 sur le triangle de Gonesse (Val-d’Oise), en juin 2021. - © NnoMan/Reporterre
Manifestation contre les travaux de la gare de la ligne 17 sur le triangle de Gonesse (Val-d’Oise), en juin 2021. - © NnoMan/Reporterre
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Luttes Carte des luttes PrésidentielleLa résistance se poursuivra pour les activistes des luttes écologistes, loin d’être découragés par la défaite de la gauche. Des dizaines d’actions locales sont prévues dès le lendemain de l’élection présidentielle, quel que soit le vainqueur du second tour.
Les luttes locales comme remède à notre déprime post-électorale ? C’est le message à retenir d’une vidéo appelant à une grande journée de mobilisation pour le 26 avril. « Quel que soit l’élu, continuons nos résistances locales, faisons monter la pression, créons un rapport de force et allons jusqu’au bout pour les faire plier », a déclaré l’intercollectif à l’origine de l’appelle, notamment Terres de Luttes.
Près d’une vingtaine d’actions sont prévues sur tout le territoire au lendemain du second tour pour s’opposer à la construction d’une usine à cochons à Langoat, en Bretagne, ou d’une bretelle autoroutière à Florange, au bétonnage du plateau de Saclay, ou encore contre des projets photovoltaïques détruisant les forêts, etc. Le tout organisé par l’un des 400 collectifs recensés sur notre carte des luttes.
« On savait qu’il fallait continuer à se battre »
De quoi redonner un peu de baume au cœur des militants bien abattus après la défaite de la gauche à l’élection présidentielle. « De toute façon, on savait qu’il fallait continuer à se battre même si cela va être plus difficile que ça ne l’aurait été s’il y avait eu Mélenchon. Mais on est toujours motivés. C’est aussi une façon de rebondir après cette déception », dit à Reporterre Fanche Rubion, membre du collectif Bretagne contre les fermes usines. « Les gens dépités par les résultats vont rejoindre une lutte. C’est une façon de faire barrage aux projets qui suivent le vieux logiciel du XXᵉ siècle et qui artificialisent les terres », confirme Audrey Boehly, membre du collectif contre l’extension du terminal 4 de Roissy.
Au final, les résultats du premier tour ne seraient pas aussi démobilisateurs que prévu, selon Étienne Coubard, chargé de mobilisation sur la campagne Amazon aux Amis de la terre : « Nous sommes contactés par beaucoup de gens qui souhaitent se mobiliser et s’engager dans les prochaines actions car l’espoir qui pouvait être placé dans l’élection s’est effondré. »
La lutte contre les entrepôts Amazon est l’une des premières à s’être coordonnée au niveau national grâce aux Amis de la Terre. Elle se bat aujourd’hui contre quatorze projets et a publié de nombreux rapports démontrant les mensonges du géant américain qui détruit des emplois, ne paie pas ses impôts en France et artificialise les sols.

Ces derniers mois, d’autres luttes se sont coordonnées et rassemblées par thématique : extensions d’aéroports, constructions de routes, bétonnage de la montagne ou des jardins populaires, ferme-usines, préservations des forêts ; ou par zone géographique dans les Pyrénées-Orientales, dans le Nord, dans le Centre. Soit une douzaine de réseaux qui lanceront des actions pour le 26 avril.
« L’intérêt de la coalition, c’est de partager des expériences, de donner un nouveau souffle à des collectifs fatigués qui ont parfois le sentiment de se battre seuls. Faire nombre permet de se sentir plus fort face aux porteurs de projets. D’autant que les dossiers d’enquête publique sont constitués exactement de la même manière. Il est donc nécessaire de se rassembler pour construire des contre-argumentaires globaux et partager les savoirs », explique Enora Chopard, membre de Terres de luttes, en charge de la coordination contre les projets routiers.
« Pas mal de jeunes impliqués se rendent compte qu’il est urgent de faire autrement »
L’idée de structurer les luttes n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans une dynamique commencée avec le collectif Agir contre la réintoxication du monde en mai 2020 puis par les Soulèvements de la terre en mars 2021. « Cela fait déjà plusieurs années qu’il y avait des tentatives de se rassembler et aujourd’hui, il se passe vraiment quelque chose. Il y a de nouvelles façons de faire, pas mal de jeunes impliqués se rendent compte qu’on va droit dans le mur et qu’il est urgent de faire autrement », poursuit Fanche Rubion. Se rassembler permet aussi de peser dans le débat public.
« Depuis quelques mois, j’ai le sentiment d’une émergence inédite. Ce que j’appelais dans mon livre "l’archipélisation des îlots de résistances" est en train de se mettre en route de manière organique, sans ce formalisme démocratique qui nous encombre. Ces coordinations semblent sérieuses, organisées et vertébrées politiquement parlant. C’est une vraie bouée de sauvetage vu l’époque qu’on traverse », explique Corinne Morel Darleux, autrice et militante.
Des victoires à célébrer pour se remonter le moral
D’autant que les luttes locales, contrairement aux élections nationales, sont un moyen de remporter des victoires qu’il faut absolument célébrer, selon Corinne Morel Darleux : « Elles passent souvent inaperçues alors qu’elles sont importantes car elles nous aident à lutter contre le découragement. D’autant que ce n’est pas rien de gagner contre un entrepôt Amazon quand on regarde le rapport de force. C’est même spectaculaire, mais cela ne correspond pas à la société du spectacle du XXIᵉ siècle. »
Étienne Coubard est plus mesuré quant aux répercussions de ces victoires contre le géant américain : « Quand on gagne un recours contre un projet d’extension, trois autres sont proposés à la place dans la région. C’est une course continue qui demande un fort investissement militant et des recours juridiques qui coûtent cher. »
« Stoïcisme militant »
Les luttes écolos s’apparentent au mythe de Sisyphe : un découragement récurrent face une adversité toujours plus tenace. Mais pour Corinne Morel Darleux, il s’agit de ne pas céder à l’abattement : « Il faut déployer une forme de stoïcisme militant en distinguant ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Cela passe par une forme de lucidité sur le fait que nous ne sommes pas majoritaires et que les idées qu’on défend progressent moins vite qu’en face ».
Dans cette longue bataille culturelle qu’il reste à mener, l’union des luttes fera leur force. « Ça serait une erreur de croire que ces luttes sont isolées. On le voit par exemple sur l’aviation, où des extensions sont en projet dans toute la France. C’est un projet politique global qui nous mène droit dans le mur », assure Audrey Boehly. Étienne Coubard espère également un répit après les élections législatives : « Si le front écologique et social est large à l’Assemblée nationale, il pourra influencer les décisions d’État. Et surtout pourra aussi limiter la casse. Car plus il y a de bruit autour d’un projet, et plus c’est un échec pour le gouvernement en termes de paix sociale. »