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Retour sur 2019 : marches pour le climat, Gilets jaunes, retraites, une année dans la rue

En France, les Gilets jaunes ont opéré la jonction entre justice sociale et climatique, l’été a été brûlant, l’incendie de Lubrizol a provoqué la colère... Les rapports scientifiques sur le climat ou la biodiversité étaient alarmants, tandis que l’Amazonie brûlait. Partout dans le monde, les jeunes ont marché pour le climat, et les luttes se sont multipliées, du Liban au Chili. Reporterre revient sur les événements marquants de 2019.

Janvier — Les Gilets jaunes ont une Assemblée

Lors de l’« Assemblée des assemblées » dans la Meuse.

Les 26 et 27 janvier, près de Commercy dans la Meuse, près de 75 délégations des Gilets jaunes de toute la France ont adopté un appel invitant à poursuivre et à amplifier le mouvement de révolte débuté en novembre 2018. Surtout, cette première « Assemblée des assemblées » ambitionnait de donner un cadre au mouvement, tout en respectant scrupuleusement son exigence démocratique. « Un moment d’histoire » de l’avis des délégués présents.

Plus de deux mois après le lancement des mobilisations, les Gilets jaunes poursuivaient leurs actions partout en France, créaient des liens de solidarité et des politisations d’une ampleur inédite, bousculant les organisations militantes traditionnelles par leurs modes d’action désobéissants, et rappelant le lien étroit entre écologie et justice sociale.

Les « Assemblées des assemblées » successives ont tenté de renforcer cette structuration du mouvement, non sans mal. À Saint-Nazaire, en avril, le texte final a esquissé une ligne politique anticapitaliste, rouge et verte. Fin juin, les 700 délégués réunis à Montceau-les-Mines se sont positionnés sur des sujets plus concrets tels que l’opposition à la privatisation d’Aéroports de Paris. Quant à l’Assemblée de Montpellier, début novembre, elle a planché sur l’avenir du mouvement social, autour de questionnements stratégiques dont « comment renouer le lien avec la population » ou « comment éviter la division et construire les convergences ».

Les autres temps forts du mois :

  • Jair Bolsonaro a pris ses fonctions de président du Brésil mardi 1er janvier 2019. D’extrême-droite, il s’est attaqué, dès son arrivée au pouvoir, aux politiques environnementales ainsi qu’aux militants écologistes et autochtones. Outre une restriction budgétaire et une restructuration, des postes clés du ministère de l’Environnement ont été octroyés à des militaires. Tout au long de l’année, il a soutenu le déploiement d’une économie ultra-libérale et d’une agro-industrie prédatrice pour la forêt amazonienne.
  • Plus de deux millions de personnes ont signé sur internet pour soutenir « l’Affaire du siècle », le premier recours juridique contre l’État français pour inaction climatique. Du jamais vu dans l’histoire des pétitions en ligne, témoignant d’une « préoccupation croissante des citoyennes et des citoyens pour les questions climatiques et environnementales ». Malgré la fin de non-recevoir du gouvernement – qui estimait en février en faire déjà beaucoup sur la question – les quatre organisations à l’origine du recours ont lancé la procédure en mai. L’audience pourrait se tenir en 2020… ou 2021.

Février — « Décrocher Macron » pour dénoncer son inaction climatique

Un décrochage de portraits de Macron.

Jeudi 21 février, quatre portraits officiels du président Macron ont été décrochés dans des mairies à Lyon, à Paris, Bayonne et Ustaritz, pour dénoncer l’inaction du gouvernement face au dérèglement climatique. Cette action donnait le coup d’envoi de l’opération « Sortons Macron » : « Nous appelons à la réquisition générale et citoyenne des portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies, dans un cadre non violent et déterminé », indiquait la porte-parole d’une action similaire menée le 28 février. « L’idée est que le président comprenne qu’on n’est pas du tout satisfait de sa politique sociale et écologique. Le mur vide symbolise le vide de la politique climatique et sociale de M. Macron ».

En moins de six mois, plus de 130 portraits ont été décrochés, certains faisant des sorties à l’occasion de mobilisations sociales ou écologiques, ou encore lors de l’Assemblée des assemblées des Gilets jaunes à Saint-Nazaire. Garde-à-vue, perquisition, audition... Les autorités ont contre-attaqué. La gendarmerie a même reçu des directives particulières contre ces activistes : elle devait « s’assurer qu’une procédure judiciaire de flagrance soit systématiquement ouverte pour vol aggravé (en réunion) ». Elle a également été encouragée à prendre attache avec le bureau de lutte antiterroriste (Blat) « afin de déterminer les modalités à mettre en œuvre pour rechercher la responsabilité morale de l’association ».

64 militants d’ANV-COP21 ont été poursuivis par la justice, et plusieurs procès ont déjà eu lieu. Ils ont permis aux activistes de défendre la désobéissance civile non violente comme moyen d’action légitime face à l’urgence climatique. À Lyon, le juge a relaxé les deux militants poursuivis, au nom de l’état de nécessité.

Les autres temps forts du mois :

  • À Roissy, Aéroports de Paris entend construire un nouveau terminal, le T4, qui permettrait à lui seul d’absorber jusqu’à 40 millions de passagers supplémentaires, par an, à l’horizon 2037. Une concertation préalable à l’agrandissement a été lancée mi-février, tandis que l’opposition se levait contre ce projet climaticide.
  • Après une longue et énième journée de discussion, les négociateurs européens sont parvenus à un accord à propos de la pêche électrique : elle sera totalement interdite aux navires de pêche de l’Union européenne dans toutes les eaux qu’ils fréquentent, y compris en dehors de l’Union européenne, au 30 juin 2021. Une victoire pour les pêcheurs artisans et les associations de défense de l’océan.
  • Mardi 5 février, à Bar-le-Duc, s’est tenu un nouveau procès « spécial Bure ». Lors de ces audiences sous très haute surveillance policière, des opposants à la poubelle nucléaire ont été jugés les uns après les autres, dans une ambiance tendue.

* Notre enquête du mois : En France, le droit de l’environnement est détricoté par le législateur et mal appliqué du fait du manque de moyens de l’administration et de la justice. Reporterre a enquêté sur ce dangereux affaiblissement, et a cherché des solutions.


Mars — « Désolé maman, je sèche comme la planète »

Greta Thunberg le vendredi 22 février à Paris.

Les 15 et 16 mars, la mobilisation pour le climat a franchi un nouveau cap. Des grèves et des marches se sont déroulées partout dans le monde, réunissant des dizaines de milliers de personnes. Des jeunes – collégiens, lycéens, étudiants – ont ainsi rejoint l’initiative lancée en août 2018 par Greta Thunberg, et diffusée par le mouvement Fridays For Future. Dès février, des étudiants français avaient ainsi publié un manifeste invitant à multiplier les actions : « Nous, la jeunesse, sommes né.e.s dans un modèle de société mondialisée responsable de la catastrophe environnementale et sociale actuelle, et c’est notre futur qui se dérobe sous nos yeux. »

En Allemagne, les jeunes sont descendus dans la rue dans plus de 220 villes, scandant « Nous sommes ici, nous sommes bruyants, parce que vous nous volez notre futur ! » En France, la grève pour le climat s’est épanouie dans les rues de Paris, chaque pancarte rivalisant d’originalité : « La Terre est plus chaude que Francky Vincent », « Error 404 : future not found » ou « Désolé maman, je sèche comme la planète ».

Les actions se sont largement déployées hors des capitales, comme dans le village de Forcalquier, où des enfants ont occupé la mairie, ou encore à Lyon, où de tous petits ont fait « l’école buissonnière » avec leurs parents.

Ces mobilisations se sont répétées régulièrement tout au long de l’année, tentant des jonctions avec le mouvement des Gilets jaunes, lors des marches organisées les samedis, mais également avec d’autres mouvements écolos comme Extinction Rebellion. En novembre, l’organisation Youth For Climate France constatait cependant que « les marches ne [suffisaient] plus ».

Les autres temps forts du mois :

  • Le 11 mars, le président algérien Bouteflika annonçait qu’il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle. Mais alors que le peuple algérien secouait le joug de son gouvernement, des manœuvres discrètes se poursuivaient autour de l’exploitation possible des gaz de schiste.
  • Le 15 mars, le cyclone Idai a dévasté la ville portuaire mozambicaine de Beira puis a traversé le pays, semant la mort et la désolation jusqu’aux Zimbabwe et Malawi voisins.

Avril — Un an après l’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-landes, les habitants ont « préservé l’essentiel »

Les minuscules bébés crapaux rencontrés dans une mare de la forêt de Rohanne

Le 9 avril 2018, après des années d’occupation et d’expérimentations, la Zad de Notre-Dame-des-Landes était expulsée lors d’une opération militaire violente. Un an après, les habitants poursuivaient la lutte pour la préservation des terres et des modes de vie, bien que l’opération militaire ait laissé des traces. « On a perdu un tiers des habitats et un tiers des habitants », résumait Julien, rencontré sur place.

En avril 2019, nous pouvions constater à quel point l’expérience de Notre-Dame-des-landes avait essaimé hors du bocage et s’était ancrée dans chaque personne s’y étant rendue. Ainsi, pour la sociologue Geneviève Pruvost, « la Zad pose cette question : est-ce que j’ai besoin de mille autorisations pour vivre ou est-ce que je peux inventer ma vie ici et maintenant ? » Le dessinateur Alessandro Pignocchi parlait de « l’ébauche d’un monde autre » tandis que l’écrivaine Nathalie Quintane constatait que « le sentiment de liberté qu’on éprouve sur la Zad permet de réaliser à quel point on se sent surveillé au-dehors ».

À l’été 2019, nous sommes retournés rencontrer Michel et Nico, qui habitaient aux Cent noms, l’une des maisons détruites par les gendarmes au tout début de l’expulsion. Leurs caravanes sont désormais posées au Liminbout, un autre lieu de la Zad. Là, un « labo » crêpes-galettes a été aménagé, ainsi, entre autres, qu’un atelier poterie. « On a perdu l’image qu’avait la Zad de lieu rebelle en dehors de l’autorité de l’État », reconnaissait Michel. Désormais, il arrive aux forces de l’ordre de pénétrer sur la zone. « Mais on a préservé l’essentiel. On a pu maintenir à peu près tout ce que l’on voulait… à condition de le déclarer. »

Après des mois de mobilisation accompagnée de négociations avec l’État et le département de Loire-Atlantique, propriétaire des terres, des promesses de baux ont été obtenues pour une quinzaine de leurs exploitations. Mais les habitants ont aussi bataillé pour faire reconnaître leurs habitats, en dur ou léger (yourtes, cabanes…), alors que le plan local d’urbanisme qui doit entrer en vigueur en 2020 ne le permet pas. Les discussions avec l’État et la collectivité locale ont patiné tout au long de l’année. Beaucoup comptaient désormais sur le fonds de dotation terres communes, créé afin de lever des sous pour racheter terres et bâtiments.

Les autres temps forts du mois :

  • L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a réclamé la « remise en conformité » de huit soudures défectueuses très difficiles d’accès de l’EPR de Flamanville, ce qui pourrait repousser de deux ans — au moins — la mise en service du réacteur nucléaire. Malgré le fiasco annoncé de ce chantier très coûteux, le gouvernement serait favorable à la construction de six nouveaux réacteurs EPR, à en croire une lettre ministérielle dévoilée en octobre 2019.
  • Vendredi 19 avril, plus de 2.000 activistes non violents ont mené des actions contre « la République des pollueurs », à La Défense, près de Paris. Ils ont bloqué les sièges d’EDF, de la Société Générale et de Total, ainsi que le ministère de la Transition écologique.
  • L’incendie de la cathédrale de Notre-Dame a généré une pollution « très importante », notamment au plomb. Trois associations se sont vite inquiétées du risque élevé d’intoxication des travailleurs et des riverains, et ont dénoncé « l’attentisme » des pouvoirs publics.

Mai — Le Parlement européen se met au vert

Les écologistes sont sortis renforcés des élections européennes.

Le 26 mai, les Européens ont élu leurs 705 représentants au sein de l’Union. Un scrutin à forts enjeux écologiques, notamment parce que 80 % des dispositions de notre Code de l’environnement proviennent de directives ou de règlements européens.

En France, la surprise a été créée par les Verts d’Europe Écologie. La liste menée par Yannick Jadot est sortie troisième, avec un résultat bien au-dessus des prévisions des sondages, à 13,47 %. De façon générale, dans l’Union, les écologistes sont sortis renforcés de ce scrutin. En Allemagne, les Grünen sont devenus à cette occasion la deuxième force politique du pays.

Arrivés en nombre au Parlement européen, les élus écologistes n’ont cependant pas encore marqué de leur empreinte la nouvelle législature, les vieux partis ayant fait de la résistance. Les discussions sur les postes clés, ou les « top jobs » selon le jargon bruxellois, ont abouti à une presque totale mise à l’écart de leur famille politique.

La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a en revanche placé sa mandature sous le signe de l’écologie, à travers son projet de « pacte vert » (ou « Green Deal »). Dévoilé en fin d’année, le pacte envisage une taxe carbone aux frontières, un renforcement de l’économie circulaire, des investissements dans les énergies renouvelables ou encore une stratégie de défense de la biodiversité. Mais nombre d’eurodéputés sont restés sceptiques, à l’instar d’Aurore Lalucq : « La Commission reste sur la mystique d’une croissance verte alors qu’il est temps d’acter un changement de modèle, de passer d’une Europe néolibérale à une Europe-providence, et d’acter l’ère de la post-croissance. »

Les autres temps forts du mois :

  • Les États membres du « Giec de la biodiversité » ont adopté un rapport inédit qui alerte sur l’effondrement du vivant. Plus d’une espèce vivante sur huit — soit un million — pourrait disparaître de la surface du globe dans les prochaines décennies. L’agriculture industrielle et la consommation de viande sont les causes majeures de ce déclin.
  • La loi Mobilités est arrivée devant les députés. Avec la révolte des Gilets jaunes et l’abandon de la taxe carbone, le texte était très attendu... et au cœur de l’actualité. Le gouvernement entendait en faire « un tournant » dans sa politique des transports. Cependant, sur les sujets clés – voitures thermiques, transport routier de marchandises, infrastructures polluantes, pollution de l’air, place du vélo – le gouvernement et sa majorité sont restés au milieu du gué.
  • Commencé mi-avril, le débat public sur les déchets radioactifs a peu mobilisé le grand public. En parallèle, des collectifs anti-nucléaires ont organisé un Atomik Tour à travers la France, qui a fait arrêt fin mai en Cévennes. Objectif : questionner le nucléaire et relancer la mobilisation autour de la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo à Bure dans la Meuse.

* Notre enquête du mois — Dans la région de Vittel, l’eau se fait rare. Nestlé Waters, soutenue par les élus, œuvre pour préserver son accès à la ressource. Malgré le poids du géant de l’agroalimentaire dans la vie locale, des habitants se mobilisent pour défendre leur propre accès à l’eau.


Juin — Suées froides face au mercure qui monte

Fin juin, la France a suffoqué. Pendant plusieurs jours, le thermomètre a dépassé les 40° C, touchant particulièrement les populations vulnérables, comme les sans-abris et les détenus. Pour tous et toutes, cette nouvelle canicule a marqué un tournant : le changement climatique s’impose comme une réalité palpable et angoissante.

« Les canicules ne sont plus des phénomènes naturels », confirmait le climatologue Robert Vautard. D’après lui, les vagues de chaleur augmentent en fréquence et en intensité. Leur température s’est élevée de 4 °C en un siècle à cause du dérèglement climatique.

En 2019, de nouveaux rapports scientifiques sont venus doucher les espoirs d’un réchauffement maintenu sous les 1,5° C. En septembre, des chercheurs français ont dévoilé leurs prévisions d’évolution du climat d’ici à 2100 : leur pire scénario envisageait 7 °C de réchauffement.

C’est dans cette chaleur étouffante que les activistes d’Extinction Rebellion ont mené leur première action d’envergure, en occupant le pont de Sully à Paris. Une opération non violente rapidement réprimée par la police, qui a arrosé les occupants de gaz lacrymogènes en pleine face et à courte distance, suscitant l’indignation.

Les autres temps forts du mois :

  • Des centaines de personnes ont manifesté à l’appel du collectif des Mutilés, afin de rendre visibles les violences policières. Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, plus de 2.400 personnes ont été blessées, une femme tuée, 23 éborgnées, 5 amputées.
  • Dans le cadre des Rencontres de l’écologie que Reporterre organise régulièrement, le quotidien de l’écologie a fêté ses 30 ans, au cours d’une journée de rencontre et de débats.
  • Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat a été examiné à l’Assemblée nationale et adopté en première lecture. À l’origine, le texte avait surtout vocation à inscrire dans la loi la moindre baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique, à 50 % d’ici 2035, au lieu de 2025 prévu initialement. Le texte s’est étoffé au fil des amendements, sans vraiment rehausser les ambitions climatiques : sur les centrales à charbon, la rénovation des passoires thermiques ou le financement des énergies fossiles, le gouvernement a loupé le coche.

* Notre enquête du mois  — La 5G, ou 5e génération de la technologie du réseau sans fil, se déploie discrètement dans le monde. Vie quotidienne, infrastructures, promesses économiques, libertés publiques, enjeux écologiques, Reporterre a mené une enquête en cinq volets.


Juillet — Homard m’a viré

François de Rugy a démissioné le 16 juillet.

François de Rugy a démissionné mardi 16 juillet, après les révélations de Mediapart sur ses dîners privés fastueux organisés à l’Assemblée nationale, la location d’un logement à tarif social près de Nantes et une polémique sur ses impôts. L’ex-ministre de la Transition écologique s’est estimé victime d’un « lynchage médiatique » et a déposé plainte en diffamation contre Mediapart.

Pendant ses dix mois passés à l’hôtel de Roquelaure, il aura surtout poursuivi les chantiers initiés par son prédécesseur, Nicolas Hulot, sans jamais réellement s’opposer à Emmanuel Macron et Édouard Philippe. « Il a défendu une écologie pragmatique, efficace. Il y a très peu de dossiers sur lesquels il s’est battu. On est resté dans la politique des petits pas », observe Jean-David Abel, vice-président de France nature environnement.

En janvier, François de Rugy nous avait listé les trois principaux lobbys qui influençaient les politiques environnementales : EDF, la chasse et l’automobile. Sa successeuse fera-t-elle mieux ? Il a été remplacé par la ministre des Transports Élisabeth Borne, connue comme une « travailleuse acharnée », mais pas écolo convaincue.

Les autres temps forts du mois :

  • Les députés ont ratifié le Ceta, cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Considéré comme climaticide et anti-démocratique, cet accord commercial a suscité de vives oppositions jusqu’au sein de la majorité macroniste. Le matin même du vote de l’Assemblée nationale, Greta Thunberg avait exhorté plusieurs parlementaires à écouter les alertes des scientifiques sur le changement climatique.

* Notre enquête du mois — Amazon a jeté son dévolu sur la France. Dans une enquête en trois volets, Reporterre a détaillé la stratégie de la multinationale, qui a multiplié les infrastructures en mettant en concurrence les territoires sinistrés et sans considération écologique.


Août — L’Amazonie en flammes

Les feux fin septembre, selon une cartographie mise à jour en temps réel.

Des incendies ont ravagé l’Amazonie ainsi qu’une bonne partie des forêts du sud du Brésil. Le nombre des feux a augmenté de 83 % en 2019 par rapport à la période correspondante en 2018. Et pour cause, « la plupart des foyers de feux en Amazonie ont été allumés par des humains, qui défrichent ainsi des parcelles pour les cultiver, expliquait Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture à Greenpeace. Ils coupent les arbres, brûlent les reliquats puis font paître des troupeaux, avant, finalement, d’y planter du soja. »

Or, afin de nourrir les animaux d’élevage, particulièrement les poules pondeuses et les poulets, « la France importe chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes de soja, estimait un rapport de Greenpeace sur le sujet. En 2017, 61 % de ce soja provenait du Brésil, qui est donc de très loin notre premier fournisseur, avec plus de deux millions de tonnes par an. » Ainsi, comme l’a dit Emmanuel Macron lui-même, nous avons eu une « part de responsabilité » dans le désastre amazonien. Vu la politique du gouvernement de Jair Bolsonaro, très favorable à l’agro-business et donc aux défrichements, « la forêt amazonienne pourrait rapidement devenir une savane », selon le chercheur Philippe Léta.

À l’autre bout de la planète, d’autres régions ont aussi été ravagées par les flammes, telle la Sibérie, où plus de quinze millions d’hectares de taïga ont brûlés en huit mois.

Les autres temps forts du mois :

  • Les dirigeants des pays les plus industrialisés se sont réunis à Biarritz pour le G7. Un contre-sommet était organisé, mais les activistes se sont heurtés à un dispositif policier important. Ainsi trois jeunes Allemands qui assuraient partir en vacances ont été arrêtés sur l’autoroute et mis en prison… Sans autre motif qu’une hypothétique « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». Suite à ce contre-sommet en demi-teinte, plusieurs organisations se sont questionnées quant à leur radicalité, se demandant comment accentuer la pression sur les gouvernants.
  • La sécheresse s’est une nouvelle fois installée en France, touchant fortement les agriculteurs. Comme unique réponse, le gouvernement a déclaré vouloir multiplier les retenues d’eau, au grand dam des associations environnementales qui dénoncent les impacts écologiques désastreux de ces barrages.

Septembre : Rouen dans la fumée, et les explications fumeuses des autorités

Les agriculteurs ont été particulièrement touchés par l’incendie de Lubrizol.

Dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre, l’usine Lubrizol, à Rouen, a pris feu, dégageant un gigantesque panache de fumée noirâtre. Malgré les discours rassurants des autorités, riverains, parents d’élèves, médecins, agriculteurs, associations écologistes et syndicats ont immédiatement craint la toxicité des substances qui se sont échappées. Dans cette usine chimique, classée « Seveso Seuil haut » sont produits des additifs pour des lubrifiants industriels, des huiles de moteur ou des gels pour peinture.

La colère des habitants s’est vite dirigée contre l’État, réclamant plus de transparence. Depuis 2014, les autorités connaissaient le risque d’incendie dans un des bâtiments de l’usine. Pourtant, le préfet a laissé l’activité augmenter considérablement sans actualiser les précautions. Pour l’historien François Jarrige, « le discours des autorités a toujours tendu à minimiser les risques, car elles craignent la panique, les conflits, la remise en cause d’activités jugées stratégiques et nécessaires ». Pour lui, cette catastrophe révélait la fragilité de notre société de consommation : « Pour qu’il y ait moins d’usines toxiques, il faut moins de biens manufacturés qui contiennent des produits chimiques », affirmait-il.

Les agriculteurs de la zone ont été particulièrement touchés ; par principe de précaution, ils n’ont pas pu vendre leur production – végétale ou animale – pendant plus de trois semaines. Si les premières analyses publiées ont montré peu de traces de pollution due à l’incendie, elles étaient incomplètes.

Les autres temps forts du mois :

  • La consultation publique sur la protection des riverains face aux épandages de pesticides a suscité un vif intérêt. Sans attendre, plusieurs maires ont pris des arrêtés anti-phytos dans leur commune. Après moult tergiversations, le gouvernement a tranché in extremis fin décembre : l’utilisation des pesticides va être interdite à moins de dix mètres des habitations, à partir du 1er janvier 2020... sauf dérogations.
  • Plus de 450 femmes, personnes trans, queer, non binaires ont marché contre le nucléaire, à Bure, malgré l’extrême difficulté à manifester dans la zone. Une semaine plus tard, en dépit d’un dispositif policier d’ampleur, près de 3.000 citoyens ont manifesté à Nancy, contre le projet d’enfouissement Cigéo.

* Notre enquête du mois — La procréation médicalement assistée (PMA) suscite des controverses y compris au sein des écologistes. Place de la technique, marchandisation, « naturel » ou pas, désir d’enfant : Reporterre a passé en revue les thèmes qui font débat.


Octobre vert — La rébellion internationale

Du 5 au 12 octobre, se tenait à Paris et dans d’autres grandes villes du monde la « Rébellion internationale d’octobre », une semaine d’actions de désobéissance civile orchestrée par le mouvement Extinction Rebellion (XR) en vue de « combattre la destruction du monde vivant par les gouvernements et les multinationales ».

À Paris, ils ont occupé le centre commercial Italie 2 pendant plus de 17 heures, transformant ce palais de la consommation en lieu de débats et de convergence des luttes. Puis près de 2.000 activistes ont bloqué le centre géographique de Paris : le pont au Change et la place du Châtelet. L’occupation a duré plusieurs jours, permettant de créer une « zone d’autonomie temporaire ».

Si certaines voix se sont élevées, s’interrogeant sur l’efficacité politique de l’occupation ou critiquant l’absence de revendications sur la justice sociale, ces actions de désobéissance non violente ont été inédites par leur ampleur et leur durée.

Ailleurs dans le monde, la « rébellion internationale » a pris une tournure plus révolutionnaire. Les Équatoriens se sont révoltés contre le retour du FMI dans la politique. Au Liban, les préoccupations écologiques ont figuré en bonne place dans les revendications des manifestants. Les Kurdes du Rojava ont tenté de résister aux attaques de l’armée turque, afin de préserver l’expérience politique originale qu’ils avaient construite. Bousculé par un mouvement social inédit, le gouvernement chilien a finalement renoncé à organiser la COP25.

Pour les députés français Mathilde Panot et Loïc Prud’homme, « la puissance du choc écologique rencontre l’une des phases les plus prédatrices du capitalisme. Plus que jamais, les conflits du XXIe siècle sont liés à la question écologique. »

Les autres temps forts du mois :

  • 150 citoyens tirés au sort puis sélectionnés pour être représentatifs de la société, chapeautés par un comité de gouvernance, se sont réunis lors de la Convention citoyenne pour le climat, avec pour tâche d’« accélérer la transition écologique ». Un dispositif controversé, certains craignant entre autres une instrumentalisation du gouvernement et une mise sous tutelle des citoyens. D’autant plus que parmi les membres choisis pour « gouverner » la convention figurait Catherine Tissot-Colle, cadre dirigeante d’une multinationale de l’extraction minière, particulièrement polluante.
  • Pour 2020, le budget présenté par le gouvernement se révélait d’un vert bien pâle. Car la hausse annoncée des crédits dédiés à la transition écologique cachait en fait une réduction des effectifs, et une logique de désinvestissement de la rénovation énergétique.
  • En Aveyron, la Zad de l’Amassada a été expulsée. Depuis cinq ans s’était installé un lieu collectif d’occupation contre un projet de transformateur électrique géant, porté par RTE, une filiale d’EDF. Malgré l’évacuation, les militants entendaient poursuivre leur combat.

* Notre enquête du mois — Aéroports, fermes-usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux… Les grands projets inutiles et dévastateurs prolifèrent en France. Face à eux, des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement. Reporterre a publié une carte de toutes ces luttes locales, réalisée avec Le Mouvement et Partager c’est sympa.


Novembre — Fin de partie pour EuropaCity

L’Élysée a annoncé jeudi 7 novembre l’abandon du projet de mégacentre commercial et de loisirs EuropaCity, qui était projeté à Gonesse, dans le Val-d’Oise. Il était porté par la filiale d’immobilier commercial du groupe Auchan, et le conglomérat chinois Wanda. Il aurait bétonné 80 hectares de terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe, à quelques encablures au nord de Paris. Une décision attendue, tant le projet se trouvait entravé par des recours juridiques et contesté de toute part. L’opposition à cet immense complexe s’était en effet renforcée et étendue ces derniers temps.

La fin d’un long chemin ? Pas si vite, avertissait Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse et figure de la lutte contre EuropaCity : « On va voir si le gouvernement maintient un projet d’urbanisation du triangle de Gonesse, disait-il. Notre objectif n’était pas simplement de faire échouer EuropaCity, mais aussi l’urbanisation du triangle. Donc, c’est un pas important dans la lutte que l’on mène depuis 2010 mais on ne crie pas victoire. »

Les autres temps forts du mois :

  • Les Gilets jaunes ont fêté leur premier anniversaire. L’occasion de faire le bilan, et de constater combien ce mouvement social a forcé la mue du mouvement écolo. Suivant le mot d’ordre « Fin du mois, fin du monde, même combat ! », « les Gilets jaunes nous ont obligés à rompre avec la logique des petits pas ou de la croissance verte », reconnaissait un militant écolo. En un an, « une bataille culturelle a été gagnée : l’idée que climat et justice sociale vont de pair ».

* Notre enquête du mois — En France, la page du climatoscepticisme n’a pas été tournée. Des scientifiques, des politiques, une partie du monde des affaires et des médias continuent à porter une parole au moins minimisant l’urgence climatique sinon la niant. Quatre médias membres du Jiec, dont Reporterre, ont mené conjointement l’enquête sur l’évolution de ce courant de pensée.


Décembre — Pour se mettre au vert, défendons les retraites

Lors de la manifestation du 5 décembre contre les retraites.

Le 5 décembre, plus d’un million de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites. Une mobilisation sociale d’ampleur très vite rejointe par le mouvement écolo, tant la réforme prônée par le gouvernement est apparue antinomique avec la transition écologique. Notamment parce qu’elle pourrait pousser les gens à placer leur épargne dans des fonds de pension ou des assurances, qui selon le militant basque Txetx Etcheverry n’ont qu’une seule raison d’être : « Garantir des retours sur leurs placements les plus élevés possible, pour faire augmenter le chiffre d’affaires, quitte à investir dans des activités polluantes. » En 2018, les 100 plus grands fonds de pensions publics au monde investissaient moins de 1 % de leurs actifs dans la transition bas-carbone.

Autre conséquence, « la réforme mettrait à mal une transformation révolutionnaire de nos sociétés, estimait Nicolas Castel. Le temps libéré par le régime universel a permis aux retraités d’inventer tout un tas d’activités consistant — entre autres — à prendre soin des autres, à faire du bénévolat, à faire vivre une association. » En effet, les retraités sont nombreux et nombreuses à faire vivre les luttes écologistes.

Outre les manifestations, le mois de décembre a été celui des grèves. Pour l’économiste Genevève Azam, « la grève est profondément écologique d’abord parce qu’elle limite la production, et parce qu’elle est aussi un moment suspendu qui nous libère, une forme de respiration, de pause alors que tout s’accélère autour de nous. On prend le temps, on renoue avec la chaleur humaine. La grève permet de retrouver le rythme du vivant face à la cadence du monde industriel. » De son côté, François Ruffin voit dans la bataille pour les retraites « une bataille écologique ». À Paris, la grève des transports a surtout été un moment de (re)découverte du vélo et de la marche à pied.

Les autres temps forts du mois :

  • À Madrid, la COP25 a échoué : pas d’ambitions revues à la hausse et aucun accord sur l’article 6, celui qui régule les marchés carbone. Bien loin des exigences nécessaires face à l’ampleur de la crise climatique.

* Notre enquête du mois — L’utilisation massive des gaz lacrymogènes pour réprimer les foules est alarmante : aspergés en grande quantité, de manière répétée, ou dans des milieux confinés, ils se révèlent dangereux comme le montrent plusieurs études scientifiques. Reporterre a mené l’enquête.

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